Te retrouver (Karhlya)

Te retrouver

ft  @Karhlya Ainsley

Travailler au bistrot ne t’avait jamais semblé aussi étrange, Laszlo. Dès que tu mettais les pieds dans l’établissement familial, tu avais l’impression de gêner, de chercher ta place sans la trouver. Tes deux soeurs, qui s’étaient occupées de maintenir l’établissement à flot après ta disparition essayaient de te laisser retrouver ta place parmi elle, mais encore ce matin, tu avais juste eu l’impression de leur marcher sur les pieds.

Aussi, quand le téléphone sonne pour leur annoncer qu’une des fermes des environs, qui vous livre une majorité des produits frais cuisinés et servis à la Filiae, ne peut pas assurer sa livraison à cause d’un moteur défaillant, c’est vers toi que les regards coulent. Tout à coup, mon vieux, tu as une tâche, quelque chose que tu peux faire par toi-même, sans leurs regards inquiets sur toi. Aussi tu n’hésites pas un instant à accepter, attraper ta veste et quitter le bistrot pour le réconfort de camionnette à plateau, aussi vieille et oubliée que tu l’as été.

C’est la tête dans les nuages, perdus dans des songes qui ne feront qu’aggraver tes mauvais rêves nocturnes, tu t’en doutes, que tu traces ta route à travers Fountain Hill, pour rejoindre les quartiers est de la ville, et la floritude de petites fermes qu’elle abrite. En fait, Laszlo, tu ne prends conscience d’où tu as mené ta route qu’en t’arrêtant dans une cour que tu connais par coeur. Tu l’as encore vu il y a moins d’une semaine… enfin, non, il y a 6 ans et une semaine. Tu ne t’y feras jamais.

Au final, tu descends de la camionnette pour regarder autour de toi. La ferme des Ainsley semble aussi intemporelle que dans tes souvenirs, seuls quelques détails ont changé. Avec curiosité, tu traverse l’endroit vers la zone où tu sais qu’ils garant leur camion et quand tu découvres une paire de jambes de l’autre côté du véhicule, tu inscris un sourire sur tes lèvres en lançant, bien bêtement :

« Des soucis avec le camion, M. Ainsley ? Persuadé qu’il s’agit là de l’homme de la famille, comme si le temps ne s’était pas écoulé. »

Voilà bien trop longtemps déjà que tu t'acharnes sur cette voiture … Tu sais faire bien des choses, Karhlya, ton père t'as appris à te débrouiller seule pour tous les aspects qui concernent cette ferme et son fonctionnement, mais tu avoues ne pas vouer une grande passion à la mécanique automobile. Bien entendu, tu sais entretenir les véhicules de la ferme, mais lorsqu'un problème plus grave se présente, tu es tout de suite dans la mouise et forcée d'appeler le garage du coin. Aujourd'hui, malheureusement, ça tombe sur le vieux pick-up qui te sers pour les livraisons, cette voiture à de l'âge, il faudrait la changer, mais au delà de l'aspect financier, tu es drôlement attachée à celle-ci parce qu'elle était à ton père. Tu as appelé le garage, aussi tôt que possible, mais si d'ordinaire tu trouves de l'aide, ça tombe mal aujourd'hui puisque le mécanicien ne peut pas passer avant des heures et toi, tu as des livraisons à faire … C'est avec dépit, finalement, que tu as dû passer des coups de fil pour prévenir de ton problème, heureusement dans cette ville, les gens se connaissent et ta clientèle est plutôt compréhensive. Certains t'ont simplement rassurée, d'autres sont passés chercher leur commande par eux-mêmes.

Pendant ce temps, Karhlya, quand bien même tu t'y es déjà bien trop essayé depuis le début de la journée, tu continues de t'acharner sur la voiture, et après avoir passer un bon moment le nez dans le moteur, tu attrapes le plateau à roulettes pour aller jeter un œil en dessous, sans grand espoir cependant. Là-dessous, tu n'oses toucher à rien de peur de faire pire que mieux, alors tu ne fais qu'observer à l'aide d'une lampe de poche aussi vieille que la voiture, dans l'espoir d'au moins trouver un début de solution à ton problème, du moins, c'est ce que tu fais jusqu'à entendre une voix. Une voix masculine, familière et à la fois comme venue d'outre tombe qui te procure un étrange frisson. Tu soupires, Karhlya, Laszlo et tous les autres sont revenus depuis dix jours maintenant, et tu n'as toujours pas eu la force de lui faire face. En fait, tu as espéré ne pas le croiser à chaque fois que tu as fait les livraisons du bistrot ces derniers jours, c'est dire …

Cette fois, pourtant, tu n'as d'autre choix que de faire avec sa présence, alors tu sors de dessous la voiture et tu te redresses, ta vieille salopette, les mains et même le visage tâchés de cambouis. « Elle refuse de démarrer. » Tu annonces, simplement, en attrapant un chiffon sale pour te décrasser un peu les doigts. « Bonjour, Laszlo. Tu viens récupérer vos produits ? » Ca t'arrange, tu sais que certains commerces ont réellement besoin de leur livraison tous les jours pour fonctionner, et toi, tu penses être coincée au moins pour la journée. « J'ai tout laissé dans la chambre froide, je vais t'aider à charger. » Tu ne sais pas ce que tu es censée dire, comment réagir, c'est étrange alors tu préfères faire comme si tu l'avais vu tous les jours, ces dernières années, et surtout, tu évites de le corriger quand à la présence de ton père décédé depuis plus de quatre ans maintenant.

Te retrouver

ft  @Karhlya Ainsley

Tu ne penses pas assez à tout ce qui a changé, pendant ces six années où tu as cessé d’être. Aussi, quand tu vois ces jambes qui dépasse de la camionnette, tu ne peux pas t’empêcher de te dire que c’est une scène que tu connais par coeur. M. Ainsley en train de réparer le vieux véhicule, pendant que sa femme et sa fille s’occupent du reste. Ouais, pourquoi ce serait différent hein ?

Pourtant, alors que tu penses ça, que tes yeux glissent sur le corps qui s’extraie de dessous le moteur, tu passes du calme à la panique. Parce qu’aussi vite que cette voix te répond, tu la reconnais. Et franchement, Laszlo, c’est un véritable choc de découvrir Karhlya là, devant toi tout à coup. Tu te manges les six années d’absences en pleine face, en découvrant qu’elle a changée, qu’elle est encore plus belle qu’avant, qu’elle n’a rien perdu de son charme. Et tes yeux se ferment, quelques instants.

« Karhlya… Tu souffles sans pouvoir retenir son prénom, alors qu’elle, elle agit comme si… tout était parfaitement normal. Heu… je… ouais… je suis venu chercher nos produits. Je ne te dérange pas ? »

Tu as probablement l’air bien plus intimidé que tu ne l’as jamais été face à elle. La dernière fois que tu l’as vu, elle était une amie avec qui tu passais du temps, discutais et apprenais à connaître. Mais là, conscient du temps qui est passé, de son propre changement physique, tu as l’air d’être redevenu un ado timide.

« Je ne pensais pas que tu… enfin… Tu as changé. Tu passes une main dans tes cheveux, mal à l’aise. En bien, en bien ! Tu fais un pas vers elle, comme pour la saluer avant de te figer. Je suis désolé, je ne m’attendais pas à… te voir. Je suis heureux de te voir ! »

C’est décousu et francchement, il faut y aller pour trouver le sens dans tout ce que tu dis, mais tu es tout bonnement incapable de te taire. Alors ouais, tu finis ton mouvement et après une très claire hésitation, tu lui tends la main pour la saluer, comme si vous ne vous connaissiez presque pas. C’est stupide, mais après tout, tu es idiot Laszlo.

« Tu vas bien ? »

Personne ne sait ce qui est arrivé aux gens comme Laszlo … Même pas eux-même. Et ça, tu vois, pour toi c'est absolument perturbant, ça l'est encore plus que si tu savais qu'ils avaient vécu des choses horribles, là, au moins, tu saurais comment réagir, plus ou moins, pour ne pas blesser, ou remuer le couteau dans la plaie. Mais là, Karhlya. Pour lui, vous vous êtes vu il y a deux ou trois semaines, mais entre cette fois-là et aujourd'hui, la réalité, c'est qu'il y a six années qui se sont écoulées pour toi. Qu'est-ce que tu es censée dire, hein ? La solution la plus logique qui te viennes, c'est de faire comme s'il n'avait jamais disparu …

Et tu vois, autant que tu sens ce trouble en lui, ton prénom prononcé de façon bien trop étrange, ce bafouillement qui lui va bien, finalement, mais qui n'est pas non plus des plus normal avec toi, tu pourrais probablement réagir, t'excuser, mais encore une fois tu ne trouves pas la force pour ça, et tu poursuis donc sur ta lancée. « Pas du tout, je pense que je n'arriverais rien avant que le mécanicien ne se décide à venir voir. » Le chiffon sale balancé sur l'un des établis de l'atelier, tu passes devant Laszlo pour rejoindre la grande porte qui donne sur la cour. « Tu as bien fait de venir. » Parce qu'autrement, lui et sa famille n'auraient probablement jamais eu tout ce que tu étais censée leur livrer ce matin.

En tout cas, tu finis par lui offrir un sourire, tu essaies de le rendre aussi rassurant que tu le peux, encourageant aussi sans doute. Bien des choses ont changé ici, il y a six ans, tu ne faisais pas autant pour cette ferme, il y a six ans, Karhlya, c'était ton père qui faisait tout ce que tu fais aujourd'hui. « Oui, je veux bien te croire … C'est moi qui m'occupe d'un peu tout ici, maintenant, y compris des livraisons en ville le matin. » Est-ce que tu dois lui annoncer maintenant que ton père n'est plus parmi vous depuis plusieurs années ? La plaie est cicatrisée, de ton côté, tu n'as pas de mal à en parler, néanmoins, tu te demandes si c'est une bonne idée d'annoncer pareille nouvelle à Laszlo après tout ça. « Viens, on va aller récupérer ce que tu es venue chercher. » Tu l'entraînes maintenant, vers la grange où se situe la boutique de la ferme, mais aussi tout le matériel de fabrication, ainsi que la chambre froide. C'est surtout maman qui travaille là-bas.

« Moi aussi je suis contente de te voir, ça faisait un moment… » Ca t'échappe, autant le dire, et tu te mords à l'intérieur de la joue immédiatement après. « Comment tu vas, Laszlo ? » Parce que, quand même, c'est une question qui te brûle les lèvres.

Te retrouver

ft  @Karhlya Ainsley

Bien sûr que tu crains de tomber au mauvais moment. De toute façon, Laszlo, depuis ton retour à la surface, tu as sans cesse l’impression d’être un problème, de venir quand on ne t’attend pas et qu’au final, on a pas besoin de toi. Du coup, tu es nerveusement debout devant la jeune femme qu’il te semble ne jamais avoir quitté, malgré ce que tout le monde te dit et quand elle te rassure, un léger sourire, un peu plus fade que tu ne pouvais le faire avant, fleurit sur tes lèvres.

Elle t’offre son sourire à son tour et c’est là, mon vieux, que tu sens que tes muscles se détendent enfin. Karhlya est toujours Karhlya, son sourire n’a pas changé, et son côté rassurant est toujours là. Aussi, tu l’écoutes simplement t’expliquer les choses avant de te faire signe de la suivre, et les épaules un peu dénouées, tu finis par lui emboiter les pas :

« Ah ouais, c’est toi qui a repris le commerce ? Comment ca se fait ? Tes parents semblaient… Tu t’arrêtes, avant de forcer ton esprit à penser aux 6 années écoulées. J’imagine qu’ils doivent être fatigués, avec le temps qui est passé et leur investissement dans la ferme. Ce n’est pas trop dur pour toi ? »

Tu ne te rends pas compte de ce que tu demandes, Laszlo, parce que même si tu essaies de comprendre que le temps a passé, tu n’imagines pas ce qui a pu se dérouler pour de vrai. Aussi, tu te retrouves à marcher à côté de la jeune femme, en lui glissant des regards en coin, en inscrivant cette nouvelle version de Karhlya en toi. Elle est belle, bon sang ! Et toi, tu es… tu es… complètement à côté de la plaque.

« C’est vrai… même si j’ai du mal à m’en rendre compte. Tu viens lui souffler à sa remarquer, alors qu’elle ignore ta question pour te la renvoyer. Ta tête se penche sur le côté, alors que tu l’observes, longtemps. Ca va, j’imagine ? C’est moins difficile pour moi que pour ma famille. Moi, j’ai juste l’impression de mettre endormi et réveille, j’ai du mal à accepter que le temp s’est écoulé. »

Il y a une drôle d’expression sur tes traits, Laszlo. Tu as l’air désolé et nerveux, un peu éteint aussi. Tu ne dis pas toute la vérité, parce que tu ne sais pas vraiment comment tu vas. Et puis, à tes yeux, la douleur de tes proches compte bien plus que la tienne, hein.

« C’est toi qui a des choses à me raconter, et à commencer par… Tu bouges vers elle, ta main se lève, vers son visage mais tu n’oses pas l’effleurer, alors tu viens juste la poser sur son épaule. Comment vas-tu ? Et ta famille ? »

Forcément, après plusieurs années à tout prendre sur tes épaules ici, tu es comme un poisson dans l'eau dans cette ferme, c'était déjà le cas avant forcément, tu es née ici, tu as grandi ici, mais depuis que tu as la casquette de la gérance c'est d'autant plus flagrant. Tu passes ton temps à courir dans tous les sens, certains diraient que tu en fais trop et ta mère ne cesse de répéter que si tu ne ralenti pas tu ne vivras pas bien vieille mais tu aimes ça, toi, probablement que ça t'empêches de réfléchir trop intensément, il faut dire que c'est ce qui t'as sauvé, Karhlya, surtout après la perte de ton père.

En tout cas, tu te diriges droit vers l'endroit où se trouve le gros de votre exploitation à l'heure actuelle. Il y a des choses que vous ne pouviez plus continuer à faire avec maman, alors cette immense grange a été réaménagée afin d'accueillir les machines qui permettent la fabrication de certains produits, mais aussi la chambre froide qui permet de les stocker, et bien entendu, la boutique qui permet de les vendre. Il est encore un peu tôt, la boutique est fermée, Lily n'est pas encore arrivée mais tu entends déjà ta mère au travail alors tu vas directement à la chambre froide, n'oubliant pas d'embarquer un chariot de transport afin d'y charger la commande des Koenig. « Oui … enfin, maman travaille à la boutique et aux cuisines maintenant, elle adore ça, elle s'est lancé dans les plats tout faits aussi, ça dépanne pas mal de monde en ville. » Et tu ne parles toujours pas de ton père, comme si tu craignais vraiment de le brusquer, parce que tu patauges, parce qu'on ne t'as pas donné de mode d'emploi. « Ça va, j'ai grandi ici alors j'ai l'habitude tu sais, et puis c'est mon truc … »

Tu ouvres la porte de la chambre froide pour y entrer, tu ne retiens pas le frisson qui te parcourt lorsque tu pénètres dans la pièce glacée, mais tu désignes rapidement l'endroit où est stockée ce qui revient à Laszlo. « Je vois … Je peux pas te dire que je comprends, ce serait mentir, je m'imagine mal me réveiller un matin et me rendre compte que j'ai perdu six ans de ma vie. » Et tu prends cet air affreusement désolé, parce qu'en le disant de cette manière tu te rends d'autant plus compte de l'horreur de la situation. Alors tu lui offres un nouveau sourire, quand sa main se pose sur ton épaule, et tu hoches la tête. « Je vais bien. Maman va bien. Ezra aussi, il est papa maintenant, la petite à fêté sa première année et … Papa nous a quittés il y a un peu plus de quatre ans maintenant. Il a été emporté par un cancer. » En ville, tout le monde connaissait ton père, il passait bien plus de temps que toi à faire ses livraisons à l'époque, parce qu'il s'arrêtait pour discutait avec tout le monde, pour boire un verre, il était apprécié, et cette reconnaissance, cet attachement s'est vu avec clarté lors de son enterrement … La moitié de la ville était présente, l'autre moitié à fait envoyer des fleurs. « Ça n'a pas été facile, mais il aurait voulu que la vie continue, alors c'est ce qu'on fait. »