I'm lost, can you find me ? [ft Adriel]

C'est probablement égoïste de penser de la sorte, surtout aujourd'hui, ce soir, après tout ça, mais tu sais quoi Adriel ? Tu n'es finalement pas mécontent de t'être sorti de tout ça. Bien entendu, tu es heureux d'avoir retrouver Judd, ainsi que Livia, mais tout est subitement devenu atrocement complexe et on sait bien, Adriel, que tu n'as jamais été du genre à aimer te compliquer la vie. C'est plus simple avec Judd, c'est ton frère et si tu as conscience qu'il a de son côté perdu six ans de sa vie, qu'il sera probablement perdu dans ce nouveau monde qui n'a cessé d'avancer, de ton côté, rien n'a changé vis à vis de lui, c'est toujours autant, tu l'aimes toujours de la même manière. Mais que dire de Livia ? Il y a encore un an, tu aurais probablement accueilli son retour de façon différente, tu n'attendais qu'elle, elle était toujours celle qui régnait sur ton cœur. Aujourd'hui, il y a Lexi dans ta vie, et quand bien même cette relation à toujours raisonnée de façon bien étrange dans ta tête, et dans ton coeur, elle est celle qui partage ta vie, et ton lit désormais, tu lui dois le respect. C'est pour ça, Adriel, que tu as fait en sorte de garder tes distances avec la blonde, et tu sais que ça ne lui aura pas échappé, parce que Liv' te connais bien, trop bien, et ce malgré six années d'absence. Troublant, n'est-ce pas ?

C'est après avoir déposé Judd dans son appartement que tu es rentré chez toi, tu as récupéré des pizzas - encore - et après avoir pris soin d'en laisser une à ton frère, tu es retourné à la maison, tu n'as eu le temps que déposer les cartons des pizzas dans la cuisine que la sonnette de la porte s'est faite entendre. Et tu as soupiré, Adriel. Etrangement, tu te retrouves très bien dans la solitude, lorsque les choses vont mal. Pourtant, tu traînes des pieds jusqu'à la porte, et c'est Lexi que tu y trouves. Ton regard s'arrête, se fige sur elle un instant et quand tu comprends que vous êtes à peu près dans le même bateau, tu viens simplement lui tendre la main. « J'ai emmené Judd jusqu'à chez lui et je lui ai laissé un téléphone au besoin … » Tu es inquiet, bien entendu, mais ton frère à besoin de reprendre quelques repères, tu ne peux pas le materner. « Tu tombes bien, je viens de rentrer avec le dîner. » Tu annonces, en la tirant à l'intérieur et en venant déposer un baiser sur son front.

A croire que tu as décidé de noyer le poisson à l'infini, tu n'évoque que Judd face à Lexi. Tu ne cherches pas à lui mentir, cependant, tu sais parfaitement qu'elle sait, qu'elle aura compris que Livia est elle aussi de retour, mais tu préfères ne pas en parler pour le moment, tout simplement parce que tu ne sais toujours pas ce que tu dois faire concrètement de cette information. Pour Livia, vous êtes toujours un couple. Certes, il y avait pas mal de bas entre vous, surtout à cause de cette maladie infernale qui semblait vouloir la condamner coûte que coûte, mais pour elle, il n'y a jamais eu de fin à votre histoire, et pour toi non plus quand y pense. Cependant, tu as vécu ces six dernières années, et tu as donné une place à Lexi, ce n'est certainement pas la place de Livia que tu as offerte, tu en as toujours été incapable, mais tu es parvenu à créer une place pour la psychologue. Aujourd'hui, pourtant, il semble évident que l'une va devoir perdre sa place, parce qu'elles ne peuvent décemment pas coexister.

« Je te demande pas comment ça va, ou comment il va. » Tu penses plus ou moins cerner. Tout le monde est perdu, toi, elle, son frère, le tien, il faut dire que la situation est étrange, inédite et incompréhensible. Il n'y a de mode d'emploi nulle part pour affronter tout ça, mais tu décides tout de même d'essayer de faire au mieux. Alors tu entraînes ta petite-amie à l'intérieur, et tu refermes la porte d'entrée, tu t'avances à nouveau jusqu'à la cuisine dans laquelle l'odeur des deux pizzas s'est largement répandue.

Quand sa question tombe, tu soupires, tu ne sais pas comment tu dois interpréter une telle interrogation, voilà six ans que ces gens ont disparus, maintenant qu'ils sont de retour, en vie, vous devriez probablement vous réjouir, mais vous avez tous les deux l'air d'être dans une mauvaise phase. « C'est réel … » Heureusement. Malheureusement. Non, Adriel, tu ne peux pas prétendre ne pas être heureux de retrouver Judd, tu ne peux pas non plus prétendre ne pas être heureux de revoir le visage de Livia, et c'est probablement pour ça que tu te sens mal, parce que tu te demandes si tu as le droit de ressentir cette joie. « Mes parents ne vont probablement pas tarder à débarquer en ville … Ma mère a appelé toute la journée, j'ai dû rejeter ses appels. » Tu comprends son état, sa position, mais tu ne peux pas passer ton temps pendu au téléphone avec elle, ni avec le reste de ta famille, tu n'en as ni la force, ni la volonté en réalité.

« Tu devrais manger. Un peu. » C'aurait pu être un conseil de ta mère, un peu stupide soit dit en passant, elle ne va pas s'effondrer pour un repas sauté, non, ce qui t'inquiètes c'est plutôt le manque d'appétit dans de telles circonstances. « Ça va aller, Lex' … okay ? On va gérer ça. » Des mots, sans promesse, parce que tu ne peux pas promettre, tu ignores comment ça va se passer, maintenant. « Livia … Elle est partie s'installer chez sa mère. » Tu n'as pas parlé d'elle jusqu'à présent, mais tu annonces ça subitement, comme si ça pouvait être rassurant. Il faut dire qu'elle vivait ici, Livia, dans cette maison, avant de disparaître…

Non, Adriel, tu ne pourras pas échapper à l'inévitable discussion avec ta petite-amie. Tu n'aimes pas les problèmes, tu n'aimes pas les disputes, tu n'apprécies guère les moments de tension, quand bien même tu sais que ça fait partie de la vie d'un couple digne de ce nom. Tu es droit, tu l'as toujours été, tu as toujours mis un point d'honneur à l'honnêteté, à la fidélité, c'était comme ça avec Livia, ça l'est avec Alexis quand bien même, sans doute, tu es bien moins ouvert avec cette dernière. Tu n'y peux rien, les choses sont différentes, Liv' et Lexi sont différentes, les deux relations sont différentes, et puis, Alexis est psychologue et quelque part, tu crains sans doute qu'elle ne t'analyse lorsque tu t'ouvres à elle…

Alors oui, d'une certaine manière, tu noies le poisson avec tes pizzas, jusqu'à te rendre compte que tu ne pourras pas éviter le sujet qui secoue actuellement cette ville toute entière. Tu dois parler de Judd, de Maxine, mais tu dois aussi et surtout évoquer Livia. Après tout, elle vivait ici. Et cette maison, quand tu l'as achetée, tu l'as fait pour elle et toi… Lexi ne vit pas avec toi, certes, mais elle passe du temps dans cette maison alors elle a le droit de savoir comment vont se passer les choses.

Tu ne t'attendais absolument pas à ce qu'elle mette les pieds dans le plat …

« Qu'est-ce que tu racontes ? » Tu souffles. Tu soupires. Ce n'est pas que tu ne veux pas discuter, c'est simplement que tu ne veux pas réfléchir à tout ça maintenant. Livia a toujours été importante, évidemment Adriel, tu l'aimais, et tu as eu un mal de chien à lâcher prise après sa disparition, il a fallu des années pour que tu parviennes à amorcer le début d'autre chose. Le hic, c'est que ce n'est pas pour autant que tu as tourné la page, et tu n'es pas certain non plus d'avoir un jour cessé d'aimer Livia. Pour dire les choses concrètement, ton histoire avec la jolie blonde n'a jamais eu de fin, alors tu as l'impression d'être pris entre deux feux. « Ça fait six ans, Lexi … on peut pas faire comme si rien n'était arrivé, en six ans. » C'est fou, parce que, tu cherches tes mots, tu cherches ce que tu peux bien lui dire et tout dans ta tête résonne comme un potentiel mensonge. Tu ne peux pas lui promettre de rester auprès d'elle, tu ne peux pas dire que tu ne retourneras pas avec Livia et que c'est une histoire passée, tu ne peux rien affirmer, et cette incertitude te tue. « Je vais faire de la place à Judd, par contre. » Alors tu préfères faire l'autruche, encore une fois. « Au moins pour un temps. » Et tu souffles. « Je suis pas certain qu'on puisse reprendre une vie arrêtée depuis autant de temps. Elle n'a pas changé, mais moi si. »

Oui, en six ans on change, on évolue, parfois on régresse aussi. On doit faire des choix, avancer, on ne peut pas stagner, il faut choisir une direction, puis une autre, la vie ne peut pas être linéaire autrement elle serait bien trop fade, et ceux qui choisissent d'aller toujours tout droit le font à leurs risques et périls. C'est une chose que tu n'as jamais pu te permettre de faire, quand bien même il y a six ans, tu as ressenti cette envie de t'arrêter sur le côté, et d'attendre. Bien sûr que tu as eu mal, Adriel. Tu as souffert de les perdre. Livia. Judd. Max. Ce sont des gens importants, chers à ton cœur, des gens que tu aimes par-dessus tout … c'est ton sang, et c'est la famille que tu t'es choisie. Celle que tu voyais bien devenir ta femme. Ton petit frère. Ta meilleure amie et coéquipière, ta partenaire. C'est tout une partie de ta vie qu'on t'as arrachée, tu aurais sans doute eu le droit de tomber à genoux, de t'effondrer d'un coup. Mais il y avait ta famille, tes parents, ta jeune sœur, ton frère. Il y avait ton travail, aussi, malgré l'absence de Maxine les choses devaient continuer de fonctionner, on avait besoin de toi. Alors, tu as tout mis de côté. Tu as fait en sorte de faire l'impasse sur le vide atroce dans la maison, et peu à peu, le parfait de celle que tu aimais s'est estompé. Tu as détourné les yeux de tes parents en détresse, et ils ont fini par s'en aller. Tu as malmené celui qui remplaçait Maxine, et ça t'as probablement fait un peu de bien. Tu as été une belle autruche, sacrément doué pour planquer la tête dans le sable, mais personne ne peut t'en vouloir parce que ça a été ta façon de surmonter et de tenir bon. La question, maintenant, c'est de savoir si Alexis fait partie de tout ça, si elle n'est là que pour combler un vide ou masquer quelque chose, ou si c'est encore autre chose. Tu aimerais sincèrement que ce soit autre chose, Adriel …

Parce qu'aujourd'hui c'est terminé, la technique de l'autruche ne fonctionne plus. Tu ne peux pas détourner les yeux de ton frère, parce que tu dois l'aider, l'héberger et être présent pour lui. Maxine est de retour, et bientôt, elle reprendra son poste, tu le sais, tu la connais par coeur. Quant à Livia … Tu te sais parfaitement incapable de ne pas poser les yeux sur elle, tout comme tu sais tes pensées incapables de divaguer vers elle. « J'ai déjà fait un choix, en entamant cette relation avec toi, tu ne crois pas ? Seulement là … je suis pas en position de te faire la moindre promesse. » Oui. Tu as choisi Alexis, mais pour le coup, ça ne compte pas et tu le sais parfaitement parce que Livia n'était plus dans l'équation à ce moment-là. Tu avais commencé à penser que potentiellement, elle était peut-être morte, ce qui n'est de toute évidence absolument pas le cas. « Je m'en réjouis … Vraiment. C'est juste que j'ai du mal avec le changement … tu le sais, non ? Je dois m'y faire, c'est tout. »

Tu finis par bouger, faire quelques pas pour sortir deux bières du frigo. L'une est posée sur le plan de travail le plus proche de toi, et tu ouvres l'autre pour en boire une longue gorgée. « Au moins, on a de quoi relancer l'enquête … Même si c'est maigre. » C'est trop tôt pour tirer des conclusions, mais tu sais déjà que ce sera pas de la tarte. « On trouvera ce qui s'est passé. »

Il n'y a pas de simplicité dans ce genre de situation. Impossible pour toi de faire tout simplement machine arrière pour retourner dans les bras de Livia. Si tu ignores si Livia serait d'accord - bien qu'en théorie, pour elle, hier encore elle dormait dans le même lit que toi - c'est surtout vis à vis d'Alexis que le problème se pose … Tu ne vas pas mentir, tu es loin du stade atteint avec Livia, avec la brune, très loin même. Tu es parfaitement incapable d'imaginer un avenir quelconque, incapable de t'imaginer épouser Alexis, encore moins fonder une famille avec elle, mais avec Livia, tu avais ces projets. Tu voulais qu'elle devienne ta femme, et tu imaginais sans mal qu'elle puisse devenir un jour la mère de tes enfants. On pourrait donc se dire que le choix est vite fait, non ? Et bien loin de là, parce que tu tiens à Alexis et que tu ne veux pas la blesser, tu as accepté d'être avec elle, tu lui as fait de la place et tu t'imagines bien mal la reprendre brutalement, la repousser. Pourtant … Tu ne peux pas nier avoir eu du mal à laisser Livia derrière toi, ce soir.

Tu finis par souffler, soupirer même, à sa proposition. Tu te retrouves soulagé, tu n'as aucune envie de continuer à débattre de tout ça davantage, aucune envie de trop réfléchir, probablement que tu crains d'en arriver à certaines conclusions trop rapidement … « Bonne idée. » Et si elle n'a pas faim, de son côté, toi tu fonctionnes de manière bien différente : les nerfs, ça te creuse l'estomac. Alors, tu attrapes une large pointe de pizza dans laquelle tu croques avec appétit, savourant son goût un peu épicé et bien trop salé. « T'es vraiment certaine que t'as pas faim ? » Tu tentes, à nouveau, terminant ta trop grosse bouchée en avalant encore un peu de bière.

Et tu as ce mouvement, Adriel, un mouvement naturel habituellement, celui d'approcher Alexis, de te placer devant elle pour te pencher sur elle. Tu la gardes là, entre toi et le plan de travail, mais, si d'ordinaire tu n'aurais pas hésité à venir chercher un baiser … Ce soir tu n'y parviens pas, et à la place, comme pour te rattraper, tu déposes un autre baiser sur son front. Ca te sers le cœur, parce que tu te rends compte que ce soir, ce sentiment dont tu avais réussi à te débarrasser est de retour : l'impression d'être en faute, de tromper Livia. « Tu restes ici, ce soir ? » Tu finis par demander en t'éloignant, à nouveau pour récupérer ta pizza.

Tu devrais oublier tout ça. Tu sais … juste pour un soir, comme elle semble le vouloir. Faire comme si personne n'était revenu, comme si la soirée d'Halloween s'était déroulée sans le moindre accro, ça ne devrait pas être bien compliqué, c'était comme ça il y a deux jours encore, le souvenir est moins lointain que celui de ton ex-petite amie malade. Tu essaies. Quand tu t'éloignes d'Alexis sans être parvenu à lui prendre, ou lui offrir le baiser que tu aurais dû déposer sur ses lèvres, tu souffles un grand coup, tu fais tout pour chasser vos soucis du jour, pour éloigner le souvenir de cette affaire à nouveau sous le feu des projecteurs. Tu n'as pas envie de tordre l'âme toute la soirée, toute la nuit.

Tu ne sais pas trop ce que tu comptes faire de cette soirée, si tu avais été seul, pour éloigner ce mélange explosif de peine, de questionnements et de joie, tu te serais probablement laisser aller sur le fauteuil, une bière à la main, une pizza sur la table basse et tu aurais regardé une mauvaise emission jusqu'à t'endormir devant … Réjouissant programme, n'est-ce pas ? Heureusement, tu n'es pas seul, et alors que tu viens attraper une seconde part de pizza, elle approche pour rapidement, et subtilement te la prendre avant que tu ne puisses amorcer un geste pour la porter à ta bouche, ses lèvres viennent effleurer les tiennes et tu l'observes. Tu ne peux retenir un sourire qui vient flotter sur tes lèvres, bien sûr, ce n'est pas pour rien que tu as céder, ce n'est pas pour rien que tu as donné sa chance à Alexis, que tu as offert cette place jadis si fermée près de toi …

Et alors qu'elle traîne, victorieuse au beau milieu de la pièce, tu finis par lâcher ta bière pour l'approcher, tu la domine en terme de taille, de quelques centimètres et tu prends le temps de l'observer, d'au-dessus, tout près avant de passer un bras au creux de ses reins pour venir la ramener contre toi et enfouir ton visage là, au creux de son épaule, tes lèvres nichées dans son cou, ton nez respirant son parfum durant quelques secondes avant que tu te mettes à embrasser sa peau.

Et comment tu vas faire, hein ? Tu ne peux tout de même pas te sentir coupable à chaque fois que tu approches Lexi de trop près, après tout, vous êtes ensemble, vous formez un couple, et c'est elle maintenant qui partage officiellement ta vie. Cela dit, à côté de ça, ton histoire avec Livia n'a jamais eu de point final, il n'y a pas eu de rupture, elle a disparu et aujourd'hui … Elle ne se souvient même pas avoir disparu. Pour elle, vous étiez encore ensemble il y a deux jours, et cette configuration étrange va littéralement te rendre dingue, parce que … Merde alors, tu ne sais même pas par quel côté tu es censé aborder le problème pour commencer à le résoudre. C'est une immense boule pleine de nœuds.

Mais au moins, tu te rends bien compte que si tu te sens coupable lorsque tu l'approches, tu ne veux certainement pas faire de mal à Lexi. D'une certaine manière, cette femme a été ta bouée te sauvetage, vous vous êtes aidés, mutuellement, l'un tirait l'autre en permanence ces derniers mois et sans elle, tu aurais simplement fini par t'enfermer chez toi pour ruminer tes idées, ton enquêtes, tes suppositions. Finalement, il semble qu'une part de toi ne puisse s'empêcher de venir la chercher, l'approcher, la toucher et même l'embrasser. « Tu y as toujours ta place … » Tu entends une petite voix dans ta tête qui murmure quelque chose comme « pour l'instant » mais tu t'empresses de la faire taire pour mieux la ramener contre toi, plus fort, comme si tu craignais qu'on ne finisse par te l'arracher, ou comme si tu craignais de la lâcher de toi-même, un jour. Toi et le changement … vous n'avez jamais été très copains, décidément.