how are you ? (judd)

Depuis combien de temps n'avais-tu pas mis le nez dehors de ta propre initiative, Charlie ? Tu n'as pas à sortir de ton appartement, tout est fait pour que tu puisses vivre cloîtrée à l'intérieur, ton père s'est arrangé pour que les choses fonctionnent de cette manière et jusqu'à présent, ça t'allais très bien, tu n'avais ni le besoin, ni l'envie de sortir de ton chez toi. Tu ne connais personne à Fountain Hill, tu n'as probablement même jamais croisé tes voisins que ce soit ceux qui vivent sur le même palier que toi, ou dans les autres étages, quand on frappe à la porte, tu n'ouvres jamais, c'est comme si ton appartement était inhabité pour la plupart d'entre eux, alors forcément, lorsque tu es sortie à la vitesse de la lumière en claquant la porte et en manquant de bousculer cette bonne femme, elle t'as regardée comme si elle avait vu un fantôme. Tu n'as rien dit. Tu ne lui as même pas accorder un regard parce que ton attention était tout ailleurs, à nouveau parfaitement focalisée sur lui.

Toi qui passe ton temps scotchée aux réseaux sociaux, il n'a pas fallu bien longtemps pour que la nouvelle te parvienne, d'abord via le compte du journal local, puis par le biais de tous les autres, comme confirmation. Il est revenu. Ils sont tous revenus, en réalité, mais tu n'as perdu personne à Fountain Hill, tu n'étais même pas là en 2016 lorsque tous ces gens se sont évaporés dans la nature … tu es venue ici, parce que c'est dans cette ville qu'il se trouvait, lorsqu'il avait disparu, et aujourd'hui, tu sais qu'il est à nouveau là, quelque part.

Et tu sais Charlie, tu ne travailles pas, tu n'as jamais mis un pied dans le monde du travail, cependant, tu maîtrises l'outil internet comme personne alors, il ne t'as pas fallu bien longtemps pour réunir toutes les informations dont tu avais besoin pour espérer lui mettre la main dessus. Tu ne veux pas jouer la groupie, tu ne veux pas non plus le déranger, tu n'es pas idiote, et tu n'es pas dingue comme le pensent tes parents, Charlie, tu ne sais pas ce qui est arrivé à Judd, exactement, tu ne sais pas non plus dans quel état d'esprit il se trouve. Tout ce que tu veux, c'est t'assurer qu'il va bien, c'est le voir de tes yeux pour bien te mettre dans la tête qu'il est bel et bien de retour dans ce monde, dans le même que le tien, qu'il va bien, d'une certaine manière.

Tu as quelques pistes. Le nom d'une rue, c'est vague, il y a pas mal de monde qui vivent dans le centre de cette petite ville, mine de rien, mais c'est un début alors en suivant le GPS de ton téléphone, tu marches jusqu'à la bas, et puis, tu te mets à regarder partout, chaque immeuble, chaque maison, chaque endroit il pourrait potentiellement habiter … oui, tu regardes partout, absolument partout, sauf devant toi, Charlie.

C’est la première fois que Judd met le nez dehors seul depuis qu’il est revenu... C’est du délire pour lui de se dire qu’il a disparu pendant six ans, mais quand il voit le nombre de personnes qui le suivent sur les réseaux sociaux, que ce nombre à quadruplé... ça, plus toutes les choses en villes qui ont changé. Comme ses parents qui ne vivent plus là et qui ont vendu la maison à des inconnus. Ou, plus facile, les dates qui ne peuvent pas mentir, tout comme les rides sur le visage de son aîné... Adriel doit sans doute s’inquiéter pour lui, même si ses parents sont les personnes qui doivent sans doute être les plus inquiets de la terre à l’heure qu’il est. Mais lui, il n’a pas l’impression d’avoir changé... Il sait que le problème est là, justement. C’est qu’il n’a pas changé même après six ans de disparition...

Qu’est-ce qui a pu faire que lui ait disparu plus qu’un autre ? Pourquoi 444 personnes ont disparues ? Pourquoi une personne est toujours portée disparue ? Pourquoi est-ce qu’il n’a pas changé de tête ?...
Pour le moment, il n’ose pas trop faire son retour sur les réseaux. Il a peur de ne pas savoir comment ça marche, de se prendre une vague qu’il ne peut pas gérer. D’ailleurs, il n’a pas tellement d’activité pour le moment, et il attend d’avoir un point de non retour, où ça le saoulera de ne rien faire, pour se trouver une occupation. En attendant, il essaie simplement de reprendre ses marques, dans cette ville qu’il ne reconnaît plus.

C’est chez son frère qu’il a démarré sa nouvelle vie. Evidemment, ses parents ont arrêtés de payer pour un appartement dans lequel il n’y avait plus personne et Judd s’est retrouvé sans un toit sous lequel vivre. Mais il a pu compter sur son grand frère pour le prendre sous son aile. Il espère que la cohabitation ne leur fera pas péter un plomb à tous les deux... Mais pour le moment, ça a l’air de bien se passer.

Alors qu’il erre dans cette ville qui l’a vu grandir, il ne regarde pas devant lui, mais plutôt en l’air, parce que sa mère lui dit toujours de regarder autour de lui, plutôt que ses pieds. Et il tamponne quelqu’un. Judd baisse les yeux, attrape la jeune femme par le poignet pour l’empêcher de chuter.

Merde ! Pardon, ça va ?

Bien loin d'être parfaitement à l'aise dans la rue, et dans le froid qui commence à s'installer durant ce mois de novembre entamé, tu parviens pourtant à faire l'impasse sur tout ça pour simplement lever le nez dans les airs et observer les immeubles - pas si hauts, si l'on compare à Detroit - et les commerces qui s'étalent autour de toi. Tu le cherches, Charlie, comme si tu avais tout de même cet espoir de le croiser dans la rue, après tout ça, et surtout après seulement quelques jours … Peut-être as-tu tendance à oublier que Judd à une famille dans les parages, et probablement des amis personnels, des gens qui veulent profiter de son retour, de sa présence perdue depuis bien trop longtemps. Tu as probablement oublié, avec le temps, et cette manie de te sentir si proche de ce garçon que tu n'as pourtant même jamais vu en vrai, que vous n'êtes pas proche et qu'il n'a même jamais eu connaissance de ta sombre existence. Disons que tu le fais pour toi avant toi, Charlie, pour te sentir bien. D'autant qu'il faut bien dire que cette tentative t'aura fait sortir le nez dehors pour la première fois depuis trop longtemps.

D'ailleurs, tandis que tu regardes partout autour de toi - et on le rappelle, partout, mais pas devant toi - tu repères des endroits que tu notes dans un coin de ta tête. Un café. Une boutique. Un endroit qui vend des bubble tea fruités. Un restaurant dont la carte affichée dehors te met l'eau à la bouche … tant de choses que tu n'avais pas vu depuis un bon bout de temps. Et justement, c'est en passant devant un restaurant proposant des hamburgers, tandis que tu louches sur les photos de nourriture affichées que tu es percutée de plein fouet … Ou alors, c'est toi qui percute quelqu'un, tu n'en sais rien. Dans tous les cas, le choc est relativement violent, et toi, tu n'es pas bien épaisse alors tu te sens immédiatement partir en arrière, avant d'être stoppée nette dans ta chute par une main qui s'accroche à ton poignet. Un petit cri s'échappe bien malgré toi du fond de ta gorge, et alors que tu es de nouveau sur tes deux pieds, tu reprends violemment ta main contre toi, comme brûlée par le contact humain que tu n'as pas laissé se produire depuis des lustres. « Pardon j'ai-- … » Tu t'arrêtes dans tes excuses, celles que tu allais lancer à la vitesse de la lumière et qui, probablement auraient été parfaitement incompréhensibles, parce que tu viens de relever le nez pour au moins voir le visage de la personne que tu as percuté. Et ce visage, tu ne peux que le reconnaître immédiatement. Tu es si surprise, Charlie, si bouleversée aussi quelque part, choquée, que tu sens un étrange malaise monter en toi. La nausée te gagnes. Tes yeux brûlent. Ça bourdonne dans ta tête et puis … plus rien, ton corps s'affaisse et si tu as échappé à la chute il y a une minute à peine, le malaise lui, décide de t'emporter.

Ça ne fait pas longtemps qu’il est revenu mais il a bien vu que sa fameuse disparition, mais surtout son retour a fait exploser le conteur de son compte Instragram... Il aurait bien sur préféré que ça soit sa présence qui pousse des personnes à s’abonner, mais il allait pouvoir jouir de cette célébrité maintenant qu’il était revenu. Ça allait sans doute être un peu «too much» pour lui, tout cet intérêt d’un coup, mais il devrait faire avec. Pour le moment, il voulait profiter d’un peu de calme, avant de pouvoir profiter de ses proches. Il n’avait pas encore eu le courage de discuter avec sa mère en face à face, mais seulement au téléphone et ça n’avait pas été une conversation facile... L’entendre pleurer comme ça, alors que pour lui, ils s’étaient parlé il y a quelques jours de ça...

Tout ça pour en arriver là, donc. À cette balade au milieu de la journée, en ville, alors qu’il pense à ses proches qu’il n’a pas encore pu revoir à cause de sa lâcheté probablement... Ou plutôt parce qu’il n’a aucune idée de comment réagir devant la tristesse de sa mère. Déjà qu’il a eu du mal à comprendre les réactions de son frère... C’est difficile de se dire qu’il a réellement disparu pendant autant d’années, que la vie a continué d’avancer sans lui... Il n’arrive pas à s’y faire.

Alors qu’il est dans ses pensées, il tamponne donc cette jeune fille et... Clairement, Judd ne pensait pas faire autant d’effet lors d’une première rencontre ! Il rattrape la demoiselle qui manque de se ramasser sur le trottoir à cause de l’impact. Celle-ci retire sa main immédiatement et, après deux mots, elle s’évanouit... Ce qui force Judd à se rapprocher d’elle à nouveau malgré qu’elle se soit reculée d’elle-même. Il jure une nouvelle fois alors qu’il la rattrape.

Eh !... Judd se laisse doucement aller vers le sol pour pouvoir la garder à moitié sur ses genoux et récupérer une bouteille d’eau dans son sac à dos. Réveilles-toi... Tu dois boire quelque chose !