my way home is through you ϟ adriel

Debout dans le hall d'entrée de la maison, tu laisses ton père te serrer dans ses bras, une fierté manifeste dans le regard. Celui de ta mère est plus réservé et surtout, plus anxieux alors qu'elle chasse une poussière invisible de ton épaule. « Sois prudente, d'accord ? Ne pousse pas trop. C'est ton premier jour. » Tu hoches la tête, docile. Tu aimerais lui répondre que de ton point de vue, ton absence n'a pas été si longue que ça. Elle s'imagine que tu reprends du service après six ans mais pour toi, ça fait à peine trois semaines. Dans d'autres circonstances, ça aurait pu passer pour de simples congés annuels. « Tu m'appelles à la pause de midi ? » Il y a des moments où tu as envie de hurler à t'en arracher les poumons face à son inquiétude exacerbée. « Oui, promis. » Tu chasses cette amertume, loin dans les méandres de ton esprit. Une part de toi la comprend. Car après tout, tu t'es évanouie dans la nature du jour au lendemain. Et tu sais qu'à sa place, ton tempérament protecteur aurait pris le dessus aussi.

Malgré ta légère déconvenue en chemin, grâce à ton habitude de toujours partir en avance au cas où, tu ne déplores aucun retard lorsque tu pousses les doubles-portes vitrées du commissariat. Tu repères aussitôt ton coéquipier dans votre petit coin d'open space, où vos bureaux se font face. À en juger par la veste qu'il est en train de retirer, il n'est pas là depuis très longtemps non plus. Tu le rejoins d'un pas mesuré, distribuant des salutations cordiales à tes autres collègues, et essayant d'ignorer leurs regards parfois un peu trop insistants. Tu n'es pas la seule disparue du poste, seulement la seule du service. Et ça leur suffit. Tu imagines leurs doutes au sujet de ton aptitude à reprendre le travail compte tenu de ce que tu as vécu. Ne pense pas à ça. Tu n'as rien à leur prouver.

Au fond, le seul, l'unique avis qui t'importe, c'est celui de l'homme à qui tu es en train de tendre un gobelet en carton, la mine contrariée. « J'espère qu'il sera buvable. Sinon, tu me diras où tu vas, maintenant. » Pas besoin de lui faire un dessin : l'endroit où vous aviez l'habitude de prendre vos cafés a fermé. Dix minutes plus tôt, tu t'es donc retrouvée devant un local à louer plutôt qu'un commerce florissant, raison pour laquelle tu as été obligée d'improviser et récupérer vos boissons chaudes ailleurs. L'espace d'un instant, tu te demandes si le gérant de votre ancien fief fait, lui aussi, partie de ces fameux disparus. Et s'il a l'intention de rouvrir ou non. À supposer qu'il le peut, tu ajoutes en ton for intérieur. Ce n'est pas si simple. Tu en sais quelque chose, d'ailleurs, toi qui te bats pour récupérer ta propre maison.

Tu jettes un oeil sur ton bureau. Propre, dénué de tout objet personnel. Tu te sens telle une bleue à qui on vient d'attribuer un poste de travail. Il faudra que tu penses à ramener tes affaires, sans doute stockées dans un carton, quelque part au ranch. « J'ai pas croisé Jenkins en arrivant. Comment il a pris la nouvelle ? » Tu demandes, une grimace étirant tes lèvres. Jenkins, c'est le flic que les grands chefs ont choisi pour te remplacer en tant que coéquipier de Marshall, quand ils ont fini par comprendre - par croire - que tu ne reviendrais jamais. Il a fallu qu'Adriel se batte pour te récupérer. Son statut de lieutenant a pesé dans la balance - autant que les états de service impeccables de votre duo - et te voilà de retour à ses côtés. À ta place. Alors que tu prends une première gorgée de ce nouveau café, tu te dis que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au monde.


@Adriel Marshall

@Maxine Jones

Tu cours. Tu as l'impression que tu ne fais que ça depuis bientôt trois semaines. L'attention tirée entre Judd, ta famille inquiète pour ce frère qui avait disparu, puis Alexis, ta petite amie actuelle doutant fortement de son statut et de sa place à cause du retour de Livia, la femme que tu aimais, jadis, et que tu pensais avoir perdu pour de bon. Tu fuis la plupart de ce beau monde, tu ne sais que dire à Judd, tu n'as pas les réponses à ses questions, c'est la même chose pour les autres à la différence que tu ne sais pas non plus comment tu peux, ou devrait regarder Livia, ni même Alexis. Tu es dans cette situation inextricable, Adriel, le genre de situation que l'on croise parfois en tant que flic, des amours étranges et déchirés, déchirants, des situations cocasses qui parfois font sourire, jusqu'à ce qu'on se retrouve le nez dedans. Et aujourd'hui, tu peux le dire : il n'y a rien de drôle dans tout ça.

Le poste de Police à retrouver son calme habituel, il y a ces agents du FBI évidemment, qui ont réquisitionné un bureau fermé et une salle d'interrogatoire pour continuer leur enquête sur place, on vous a demandé à tous votre entière coopération, mais tu vois d'un mauvais œil cette présence … ces agents ne sont pas d'ici, à tes yeux, ils ne peuvent pas comprendre. Sans compter qu'ils ont pour certains ce regard accusateur posé sur ceux qui sont revenus. Tu soupires, donc en retirant ta veste pour l'accrocher au dos de ton siège comme tu l'as toujours fait, le porte manteau qui se trouve à deux pas de ton bureau n'a jamais servi, du moins pas pour toi. Ton bureau est en bazar, celui qui se trouve en face en revanche est complètement vide, et ça te rappelle ce moment atroce où tu as constaté que les affaires de Max avaient été retirées. Le lendemain, Jenkins déposait les siennes sans un mot, le sourire aux lèvres, et ce simple geste avait signé le début de votre terrible mésentente. C'est différent, aujourd'hui, Jenkins a fait ses affaires, et Maxine n'aura plus qu'à remettre les siennes parce qu'à tes yeux, cette place à toujours été la sienne, ça n'a jamais changé.

Tu songes, un instant, non sans une pointe de culpabilité que tu n'as même pas pris le temps de la voir avant aujourd'hui … tu avais tant à faire, tant à gérer, tu as préféré laisser ton équipière aux mains rassurantes de sa famille inquiète et heureuse de la retrouver. Mais tu réalises, Adriel, au moment où la petite blonde apparaît devant toi avant son gobelet de café fumant, à quel point elle t'as manqué. Tu aurais eu tant besoin de Maxine ces dernières années, mais elle aussi, tu l'avais perdue. Alors, si tu attrapes volontiers le café pour le déposer sur ton bureau, tu viens surtout passer une main derrière sa tête pour déposer un baiser sur son front. « Je te montrerais, il y a un petit café sympa à deux rues d'ici … probablement le meilleur de la ville, actuellement. » Tu te redresses, l'observe, comme tous les autres, elle n'a pas changé et c'est étrange encore une fois, parce qu'elle avait plus d'ancienneté que toi, avant, de peu, mais tout de même … Aujourd'hui, tu te retrouves plus vieux qu'elle, et tu te retrouves son supérieur. Ca t'auras au moins permis de la récupérer, de toute manière, tous ceux qui te connaissent savent, et savaient très bien qu'on aurait pas pu t'empêcher de récupérer ton équipière. Tant pis pour Jenkins. « Il a pris un congé. » Il le prend mal. Il se retrouve sans équipier, il avait probablement pris ses marques avec toi, quand bien même tu n'as jamais pu l'apprécier. Oh, ce n'est pourtant pas un mauvais bougre, hein, mais il était à sa place, à elle, et ça, tu n'es jamais parvenu à l'accepter. Tu avais l'impression de bosser avec un imposteur. « Il s'en remettra … » Tu hausse les épaules, pas que tu t'en fiches, mais c'est moins important que son retour, à elle, encore une fois. « Tu m'as manqué, Max. »

Vous ne vous étiez pas encore revus, tous les deux. Pas depuis trois semaines. Pas depuis six ans. Tu secoues la tête à cette pensée étrange, alors que tu arrives à sa hauteur. Tu as encore du mal à comprendre comment ces deux phrases peuvent coexister, être vraies, l'une et l'autre. Seulement voilà, que tu le veuilles ou non, cette situation est réelle. Déstabilisante, douloureuse et cruelle et pourtant, oui : réelle. Quand tu t'es réveillée derrière chez toi, quand tu as vu que des étrangers occupaient ta maison, ton premier réflexe a été de retrouver tes parents. Tu as sonné à leur porte d'entrée, et tu sais que jusqu'à ta mort, tu te rappelleras de l'expression gravée sur leur visage quand ils t'ont vue. Et des frissons qui ont parcouru ton échine face à cette réaction inattendue. Leurs explications ont été un coup de massue sur ta tête. Tu as cru à une blague de mauvais goût, avant de songer que tu étais peut-être folle, que tu imaginais tout. Il t'a fallu du temps, beaucoup de temps, pour accepter la réalité. Au final, tu n'es presque pas sortie du ranch. Le surlendemain de ton retour, tes parents t'ont appris que Judd et Livia s'étaient volatilisés, eux aussi. Dans une ville comme celle-là, les informations circulent vite, et tu avais réclamé des nouvelles d'Adriel et de ses proches, incapable d'en prendre par toi-même. Depuis, vos seuls contacts ont été un appel (durant lequel tu as appris sa promotion) et une poignée de SMS. Lui et sa famille ont été occupés avec leurs propres retrouvailles, au même titre que la tienne.

Tu lui tends le gobelet que tu as commandé pour lui. Tu avais prévu de lui faire une réflexion sur ses rides plus marquées (même si, et tu t'en rends compte maintenant, il n'a pas changé), parce qu'après tout, les petites piques et autres chamailleries font partie intégrante du lien qui vous unit. Mais cette histoire de café t'a mise en rogne, alors tu changes tes plans. Il ne se formalise pas de ta contrariété, au contraire. Il dépose un baiser affectueux sur ton front et te promet de t'emmener dans ce qui deviendra, sans aucun doute, votre nouveau QG du matin. Il te dévisage un instant, tu en fais de même, avant de soupirer. « Désolée. C'est juste que… tout est tellement différent… » Ce n'est pas uniquement ce foutu café. C'est le reste, aussi. Tu es fatiguée de ne pas pouvoir vivre ne serait-ce qu'une journée sans qu'on ne vienne te dire 'Oui mais ça a changé pendant ton absence' pour tout et n'importe quoi. Tu n'arrives pas à assimiler, parce que dans ton esprit, comment tant de choses peuvent être méconnaissables en seulement vingt-et-un jours ? C'est simple : tu as l'impression qu'on t'arrache tes repères, un à un, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Ton attention s'égare sur ton bureau et tu demandes à Adriel comment va Jenkins. C'est la moindre des choses. Il n'est pas responsable de cette situation inédite, et tu te doutes que l'entente n'a pas nécessairement été au beau fixe entre eux, en tout cas au début. Si les rôles avaient été inversés, tu aurais sûrement agi de la même façon. Tu n'aurais pas pu t'empêcher de rejeter la perte d'Adriel sur Jenkins (ou n'importe quel coéquipier qu'on t'aurait mis dans les pattes), à défaut d'avoir quelqu'un d'autre à blâmer. Adriel t'informe qu'il a pris un repos, mais qu'il finira par s'en remettre. Silencieuse, tu hoches la tête. Tu ne vois pas ce que tu pourrais ajouter de pertinent. Le sujet est clos.

Ton partenaire t'observe encore, avec intensité, comme s'il n'arrivait toujours pas à coire que tu te tiens vraiment là, devant lui. Une boule se forme dans ta gorge alors qu'il prononce ses prochains mots à ton attention. « Toi aussi, tu m'as manqué. » Tu as conscience que son absence de trois semaines n'est en rien comparable avec ton absence de six années. Mais c'était déjà bien assez long à tes yeux. Tu poses ton café sur le bureau, esquisses un sourire débordant de tendresse, et te rapproche d'Adriel pour le serrer dans tes bras. Lorsque tu te recules enfin, tes iris brillants rencontrent les siens. « Patrouille, aujourd'hui ? » C'est un code, entre vous. Pour quand l'un de vous ne va pas bien, ou a besoin de se confier. Fountain Hill n'est - heureusement - pas la ville la plus criminelle du pays, alors parfois, lorsque les temps sont calmes, même les enquêteurs se chargent de tâches qui ne devraient plus être de leur ressort. La patrouille, c'est plutôt tranquille. Surtout, le fait de naviguer dans les rues au volant de votre voiture de fonction vous permet d'être isolés des oreilles indiscrètes, et libres de discuter sans être interrompus trop souvent. « T'as six ans à me raconter, Lieutenant, » tu ajoutes quand même pour faire bonne mesure. Que ce soit clair : tu as bien l'intention de prendre à bras le corps l'affaire des disparus dont tu fais partie. Mais elle a attendu jusque-là, elle peut attendre quelques heures supplémentaires. Pour l'instant, ce qui t'importe le plus est de savoir comment Adriel va vraiment. Et de rattraper tout ce temps qui vous a été si injustement volé.


@Adriel Marshall

@Maxine Jones

Quand tu la regardes, tu as l'impression d'être de retour plusieurs années en arrière. Lorsqu'elle pose les yeux sur toi, en revanche, elle a cette impression que tout est atrocement différent. Elle n'a pas changé, elle est toujours la même, mais toi tu as vieilli. Six ans, ce n'est pas si énorme quand on y pense, mais ce n'est pas loin d'une décennie entière et fatalement, ça se voit. La dernière fois que tu as vu Maxine, tu approchais de la trentaine, aujourd'hui, tu es à mi-chemin de la quarantaine, fatalement quand tu te fais ce genre de réflexion, ça te fait prendre conscience de ce qui se passe, de la réalité de cette situation improbable, pourtant. Le mieux, c'est sûrement d'agir naturellement, d'essayer d'être présent pour combler les vides, aider ta coéquipière de toujours dans cette … mise à jour qu'elle va devoir subir, autant dans sa vie que dans ce métier qu'elle maîtrisait pourtant sur le bout des doigts, avant. Tu le sais, que tu seras pour elle, tu le seras aussi pour Judd, tu ne pourras pas t'empêcher de l'être pour Livia, et tu devras l'être pour bien d'autres aussi.

Tu n'as aucun répit, Adriel. Chez toi, il y a Judd qui te rappelles la situation, au travail, il y a Maxine, quand tu vois Alexis tu penses à Livia, mais tu ne peux blâmer personne, tu ressens simplement l'envie dévorante de hurler un bon coup, tu songes que tu devras bien te résoudre à le faire à un moment, que ça ne pourra que te faire du bien, après tout. Tu es touché en plein cœur, parce que tu as perdu tant de monde … ce soir-là, il y a six années, c'est comme si on avait brisé ton âme en morceaux avant de t'en dérober quelques petits bouts. Ils sont de retour, aujourd'hui, mais tu ne parviens même pas à sourire, et ironiquement, tu te dis que t'aurais bien besoin d'un psy, toi aussi.

Tu profites de l'étreinte de ton équipière, avant d'acquiescer d'un simple signe de tête. Les patrouilles, c'est l'occasion de travailler tout en ayant l'occasion de discuter, c'est un rituel qui vous ressemble et qui vous a toujours permis de vous confier facilement, l'un à l'autre, ou simplement de passer à autre chose quand c'était nécessaire pour l'un, ou l'autre. Alors, tu viens reprendre le gobelet de café sur ton bureau, et tu prends aussi ta veste avant d'attraper les clés de ta voiture. « Je conduis … Ton permis a été annulé. » Tu as déjà fait le nécessaire pour ces stupidités administratives. Aucun d'eux n'a jamais été déclaré décédé, évidemment, mais ce genre de document pratique à été mis sous entrave par le FBI. Tu as déjà demandé à ce que ce soit levé rapidement, le nécessaire sera fait, mais ils sont 443 et ça prendra du temps.

Même la voiture, d'ailleurs n'est plus la même. L'avantage de ton nouveau statut, c'est que tu n'es plus dans l'obligation de rouler avec les voitures de la Police, la tienne est plus discrète, banal qui l'ont omet évidemment la radio qui se trouve à l'intérieur, et le gyrophare prêt à être posé sur le toit. Tu t'installes au volant, tu laisses Maxine prendre la place que la semaine dernière encore, Jenkins salopait avec ces foutus Donut's pleins de sucre, et puis, tu démarres tranquillement, et tu prends la direction du Sud de la ville. « Alors … par quoi tu veux que je commence ? Les banalités ? Qui est mort ces dernières années ? Ou on entre dans le vif du sujet avec ma fiancée mourante de retour en pleine forme ? »

Tu es une enquêtrice dans l'âme, et tu nages dans ton élément lorsque tu étudies des preuves, interroges des éventuels témoins, suis diverses pistes et finis par mettre la main sur le ou les coupables. Résoudre les affaires qui échouent entre tes mains, trouver la vérité afin de faire régner la justice et apporter un peu de paix aux familles des victimes : voilà ce qui te motive au quotidien dans ton métier, qui tient davantage d'une vocation à tes yeux. Alors bien sûr, la détective que tu es n'a pas repris du service pour passer des heures entières le postérieur dans une voiture, surtout quand le dernier gros dossier de Fountain Hill touche 444 habitants et que tu fais toi-même partie intégrante de ce grand mystère. Mais Adriel compte bien plus que ton envie dévorante de découvrir ce qui t'es arrivé. Aujourd'hui, ce sera donc patrouille.

Il attrape son café, ses clefs et sa veste. Tu grimaces quand il te rappelle que ton permis a été annulé. Dans ton travail, ça ne te dérange pas plus que ça - Adriel a l'habitude de conduire la majorité du temps quand vous êtes en déplacement - mais c'est autre chose côté personnel. Tant que tu n'auras pas retrouvé ce fameux permis, tu seras obligée de compter sur tes parents ou sur des taxis à chaque fois que tu voudras te déplacer, et s'il y a une chose que tu détestes, c'est d'être dépendante des autres. « M'en parle pas. J'espère qu'ils vont vite régulariser la situation, » tu grommelles pour la forme en te saisissant à ton tour de ta boisson chaude.

Tu laisses Adriel te guider jusqu'au véhicule qui, lui aussi, a changé - comme tout le reste, tu ajoutes en ton for intérieur avec une pointe d'amertume. Exit les vieilles voitures de la police, le Lieutenant Marshall peut maintenant conduire ce qu'il veut, y compris la sienne. Il démarre le moteur et s'engage sur la chaussée, prenant la direction du sud de la ville. Au-delà de ses questions, ce qu'il t'annonce vis-à-vis de Livia te laisse bouche bée. Tu savais qu'elle faisait partie des Disparus, et donc qu'elle était revenue avec les autres (à une exception près). Par contre, tu n'avais aucune idée de ce que ce bond dans le temps de six ans aurait comme impact sur sa santé. « C'est… wow. » Une fois que l'info a fait son chemin dans ton esprit, tu ajoutes, beaucoup plus enthousiaste. « C'est la meilleure nouvelle que j'ai entendue depuis trois semaines. Les médecins sont formels ? Elle est bel et bien guérie ? » Tu ne peux toutefois t'empêcher de demander. Ce n'est rien de moins qu'un miracle. Enfin une bonne chose à tirer de ce foutoir.

Tu as beau être heureuse au possible pour Livia, la personne sur laquelle tu veux te concentrer, c'est Adriel. L'homme assis à tes côtés et qui, en quinze ans, est devenu bien plus qu'un simple collègue de travail. Bien plus que ton coéquipier. « T'as pris moins de rides que ce que j'aurais pu imaginer, » tu le tacles finalement en faisant mine de scruter son profil, un rictus aux lèvres. Mais vous ne pouvez pas vous cacher éternellement derrière l'humour, et c'est donc avec un peu plus de sérieux que tu l'encourages à se confier, comme vous aviez tant l'habitude de le faire, avant. « À part le fait que t'es devenu mon supérieur hiérarchique et que t'as changé de fournisseur de café… Qu'est-ce que j'ai manqué ? » Sous-entendu : « Qu'est-ce que j'ai manqué te concernant ? » Le ton de ta voix se veut calme et posé, mais ton cœur, lui, ne peut s'empêcher de se serrer en un mélange d'appréhension, de culpabilité et de peine. Parce que quoi qu'il lui soit arrivé, de bon ou de mauvais, la dure réalité est que tu n'étais pas là pour le vivre avec lui.


@Adriel Marshall

@Maxine Jones

Trois semaines, Adriel, et il semble finalement que tu ne gères pas si bien que tu le voudrais toute cette … situation. Et encore, s'il n'y avait qu'une seule situation, non, ça te touche de partout. Dans ton boulot. Dans ta famille. Dans ta vie personnelle. Chaque aspect de ton existence est impactée par ces disparitions, et si tu pensais probablement que ça irait, que ça passerait, le fait est que c'est bien compliqué que tu ne l'avais imaginé. L'occasion donnée, offerte même par ton équipière de t'ouvrir un peu, de poser sur la table un peu du poids qui pèse sur ton coeur est trop belle, même si honnêtement tu regrettes presque aussi vite d'avoir ouvert la bouche en te souvenant qu'elle aussi, fait partie de tout ça.

Le cas de Livia, c'est ce qui te vient en tout premier, forcément. C'est le truc le plus insensé du lot, à ton avis, c'est encore au-delà de 444 personnes qui disparaissent pendant six ans avant de revenir comme si rien n'était jamais arrivé. « Wow, ouais. C'est le mot. » Tes doigts se crispent un peu plus sur le volant de ta voiture alors que tu t'arrêtes à un feu rouge et que tu reposes les yeux sur Maxine. Ça va te faire sacrément bizarre pendant un moment de la voir là, sur le siège passager de ta voiture, comme avant, mais d'un autre côté, c'est rassurant, apaisant. Tu as retrouvé l'épaule sur laquelle t'appuyer, l'oreille à laquelle confier tes états d'âme. « La tumeur à disparue, complètement, il n'y a plus la moindre trace d'un cancer … C'est comme s'il n'avait jamais été là. » On pourrait presque se dire que Livia l'avait imaginée, qu'il y a eu erreur médicale, ou mauvais diagnostic, mais les faits sont là : les examens d'il y a six ans peuvent tout à fait témoigner de la présence évidente de la tumeur cancéreuse. « Personne n'a compris, c'est inexplicable, ça n'aurait jamais dû disparaître de cette manière en fait … Elle n'est même plus censée être en vie. » Et au moins, parler de ce qui s'apparente au miracle de l'année à le don de te tirer un sourire agréable, ce qui, il faut bien le dire, est plutôt rare depuis plusieurs années chez toi.

Tu reprends la route une fois que le feu à changé de couleur, tu roules un peu au hasard, machinalement en réalité, tu empruntes un chemin de patrouille que tu as l'habitude de faire, songeant que c'est habituellement plutôt tranquille, surtout au beau milieu de la matinée. « Ma mère dit que je vieillis bien … Pourtant j'ai eu de quoi me faire des cheveux blancs ces dix dernières années. » Et t'en as quelques-uns, d'ailleurs, des cheveux blancs, on ne va pas se mentir. Et tu ne parles pas seulement de cette affaire étrange, mais de tout le reste, de ta vie, de ta famille, de ton boulot, tu n'as spécialement eu le temps de te reposer sur tes lauriers. « Pas grand-chose … C'est triste, hein ? » Soufflement de nez exagéré, c'est con, mais tu constates que tu n'as pas fait tant de choses que ça, en leur absence. « J'ai fini par me dire, il y a plusieurs mois que ce serait peut-être le temps de laisser quelqu'un d'autre entrer dans ma vie … Et maintenant je me demande si c'était pas une grosse connerie, finalement. » Pour elle, pour toi, pour Livia, pour tout le monde, tu ne sais pas si tu dois regretter, ou si tu dois assumer pour de bon que tu es passé à autre chose. « Elle s'appelle Alexis … T'as dû la croiser, elle est psy pour la Police, ici, à Fountain Hill. » Encore un soupir. « C'est pas drôle … Je ne peux même pas te retourner la question. » T'as rien manqué de sa vie, de toute évidence, du moins, pas à ta connaissance.