« Brûle du pneu, pas ton âme. » (libre)

Il est tard. Si tard. Vingt et une heures dépassées, tu as largement dépassé ton horaire habituel mais on avait besoin de toi, ici, du moins, c'est ce dont tu as essayé de te convaincre. Tu ne sais pas, tu ne sais plus si tu as réellement envie de rentrer chez toi, ces derniers temps, Sohane, et c'est un constat absolument terrible pour toi parce que … Kal est chez toi. Parce que, Kal est la raison de tes doutes. Et pourtant, pourtant, tu sais que tu es heureuse de le savoir en vie, et pas si loin de toi, tu aurais tout donné pour qu'il revienne il y a encore quelques semaines. Le problème, Sohane, c'est que tout est bien trop étrange. Tu te sens inutile, et si tu tiens à Kal, pour toi les années ont passées, de ce fait, c'est atroce de constater qu'il pose toujours sur toi le même regard, celui d'un type bien plus vieux qui observe une gamine sur laquelle il a prit l'habitude de veiller. C'était déjà compliqué, avant, mais aujourd'hui, tu as du mal à le supporter, et tu ne veux pas non plus le brusquer, parce que tu sais que c'est encore plus difficile pour lui. Lui qui est de retour sans le moindre souvenir, qui a tout juste conscience d'avoir disparu durant plusieurs années et qui par dessus tout est aujourd'hui dans un monde qu'il peine à reconnaître, dans lequel son frère n'est plus, dans lequel la place professionnelle qu'il avait tant travailler à obtenir n'est plus la sienne.

Oui. Compliqué. Et toi, au milieu de tout ça, tu ne sais que faire, et tu ne sais que dire.

Alors tu travailles, Sohane, probablement bien plus depuis trois semaines, au moins ici, tu te sens utile, au moins tandis que tu t'occupes de ces pauvres bêtes malades, ou blessées, tu as la tête ailleurs et tu n'es pas essentiellement focalisée sur lui. Bon sang. Tu aurais préféré que ça passe. Tu aurais préféré ne plus ressentir tout ça. Il avait pourtant fallu que ce soit toujours intact, ou plutôt, probablement bien plus fort que ça ne l'était … Comment est-ce que tu es censée faire ta vie, à toi, avancer et passer à autre chose dans ces conditions ? Si tu doutais que ce soit possible le mois dernier encore, aujourd'hui, tu ne peux t'empêcher de songer que c'est devenu parfaitement impossible.

Tu finis tout de même par quitter le cabinet vétérinaire. La voiture est garée plus loin, il n'y avait pas de place dans les environs lorsque tu es arrivée en début de journée, alors tu as laissé ta voiture à quelques centaines de mètres, dans une petite rue. Une rue qui manque de lumière, la nuit, tu le remarques en entrant dans celle-ci pour reprendre ton véhicule, tu ne vois rien, et tu es obligée de t'éclairer avec la lampe torche de ton téléphone pour te glisser jusqu'à la voiture … Et c'est au moment où tu t'apprêtes à monter dedans que tu vois la forme étrange de ton pneu. Tu viens donc t'accroupir pour l'éclairer et tu constates qu'il est complètement à plat. « C'est pas vrai … » Prise d'un étrange frisson, d'une crainte venue de nulle part, tu finis par monter dans ta voiture et bien consciente de ne pas pouvoir rouler tu te mets à parcourir le répertoire de ton téléphone pour appeler de l'aide. Aucun de tes parents ne répond, le téléphone de la maison reste lui aussi sans réponse du coup, tu te mets en tête de descendre à nouveau pour fouiller le coffre. Peut-être que tu peux te débrouiller, non ?

Iris elle était chamboulée ces derniers jours depuis le retour de ses parents, d'Andreas. Elle avait dû justifier ses choix, même si elle était loin d'être rentrée dans les détails, la partie illégale, alcool, jeux, c'était resté au placard. Parents déçus de la tournure de sa vie, elle le savait, après tout il y avait un fossé entre la Iris d'il y a six ans et celle d'aujourd'hui mais en même temps, ils étaient assez intelligents pour mettre les choses en perspective et se dire que ça aurait pu être pire. Six ans c'était beaucoup. Chacun devait se faire à l'idée que les choses avaient changé. Ce soir elle sortait avec des amis, elle avait besoin de se changer les idées. Elle ne travaillait pas, ça tombait bien. Elle savait d'avance que cette soirée se terminerait sans doute au petit matin, plusieurs verres d'alcool dans le sang et que demain elle se réveillerait avec une gueule de bois et sans doute dans le lit d'un inconnu. Elle s'était calmée sur les inconnus ramenés chez elle puisqu' Andreas occupait la seconde chambre de son appartement et qu'elle se voyait mal ramener une  conquête différente tous les soirs. Elle ne voulait surtout pas qu'il s'inquiète ou comprenne sur quelle mauvaise pente elle était. Enfin à force de la voir découcher il devait se douter, rentrer ivre morte n'était pas une option, elle ne pouvait pas lui montrer à quel point elle était tombée bien bas. Elle était en route, au volant de sa voiture, encore sobre elle pouvait conduire. Son regard fut attiré par une voiture garée dans une rue quasi déserte, mal éclairée et sa propriétaire qui semblait fouiller le coffre. Iris, elle jugeait rapidement et franchement la jeune femme semblait un peu perdue mais ce n'était pas elle qui dirait qu'une femme ne pouvait pas s'y connaitre en mécanique et automobile. Le quartier était franchement pas bien fréquenté alors elle s'arrêta au niveau de la jeune femme, savoir si elle pouvait l'aider. Fallait pas croire mais Iris avait quand même des élans de bonté et surtout elle était  du genre "girl power", il faut se serrer les coudes. Elle baissa sa vitre. "Hey! Besoin d'aide?"

@Sohane J. Moon

Qu'est-ce que tu cherches à faire ? Tu ne le sais pas toi-même. Ce que tu sais, c'est que ton père t'as déjà dit que tout ce dont tu avais besoin en cas de panne ou de crevaison se trouvait dans ce fichu coffre, et en effet, il y a cette grosse caisse pleine de choses qui a toujours été là, dans un coin du coffre de ta voiture … Mais tu as beau sortir tout un tas de choses de là, tu n'y connais absolument rien, et même si tu t'es mise stupidement en tête de changer ta roue par tes propres moyens, force est de constater que tu en es incapable. Tu ne saurais même pas par où commencer. Mais, comme si la solution allait venir comme par miracle - après tout, des gens disparaissent et réapparaissent comme par magie dans cette ville - tu continues de passer en revue chaque clé, tournevis et autre truc que tu t'identifies même pas … En fait, tu fais probablement tout ça pour éviter de te souvenir que tu es seule, dans le noir, dans une rue un peu bizarre et que n'importe qui de mal intentionné pourrait soudainement apparaître derrière toi.

Et c'est pour cette raison, sans doute, que lorsque cette voiture ralenti pour finalement s'arrêter à ta hauteur, ton coeur accélère dangereusement. Toi qui n'est pas spécialement croyante, tu te mets à prier pour qu'on te fiche la paix, et lorsqu'une voix résonne dans la rue, tu sursautes, et tu te redresses à la vitesse de la lumière. Heureusement que tu es toute petite, Sohane, parce qu'avec ta chance ce soir, tu te serais probablement cogné la tête contre la porte du coffre … Toujours est-il que finalement, tu souffles. Le fait d'entendre une voix féminine t'apparaît comme rassurant alors, tu lui offres un sourire, à cette jolie blonde, et parce que de toute façon tu n'as pas tellement d'autre choix, tu te décides à lui exposer ton souci. « Bonsoir … J'ai un pneu à plat. Je sais pas trop ce qui s'est passé, tout allait bien ce matin. » Tu jettes un coup d'oeil dépité à ta voiture immobilisée, au coffre grand ouvert et surtout, à ce fichu pneu vidé de son air, et tu soupires encore une fois. Tu as l'air désespérée, et tu l'es certainement en réalité. « Je n'arrive à joindre personne et je suis incapable de remplacer cette roue par la roue de secours … » Et si tu expliques ton soucis, tu es bien incapable de réclamer quoi que ce soit à cette femme. Tu as déjà essayé d'appeler ceux que tu connais - tous, sauf Kal que tu as volontairement laissé de côté, trouvant probablement mal venu de lui réclamer de l'aide - et tu te vois mal demander à une inconnue de te raccompagner chez toi. « Vous sauriez s'il y a … un garage ou un dépanneur dans le coin ? » Tu sais bien que non, tu vis dans cette ville depuis pratiquement toujours et tu bosses dans le centre depuis des années. Mais bon …