i'm here now ϟ minju

Lorsque tu lèves le regard sur la demeure des Seol, un fort sentiment de culpabilité t'envahit tout entière. Tu aurais dû venir ici avant. Tu n'aurais pas dû attendre de croiser la mère de famille au supermarché du coin pour t'enquérir des nouvelles de son fils. Combien de fois as-tu pris ton téléphone entre tes mains et affiché son nom sur l'écran sans jamais oser presser le bouton qui t'aurait reliée à lui ? La vérité est que ton propre esprit était dans un brouillard bien trop opaque vis-à-vis de toute cette situation pour lui faire face sereinement. Et il est loin d'être le seul de tes proches que tu n'as pas eu le courage de revoir jusque-là.

Seulement voilà, sa génitrice - une Disparue, elle aussi - t'a dépeint un portrait de lui qui ne correspond pas au jeune homme que tu connais. Tu t'inquiètes, et par conséquent, tu t'en veux d'avoir attendu aussi longtemps. Cela fait maintenant un mois que tu es revenue en ayant l'impression de n'être jamais partie. Et tu aurais dû faire preuve de plus de courage. Si quelqu'un d'autre qu'Adriel le mérite dans ton entourage proche, c'est bien Minju.

« Appelle-moi pour que je revienne te chercher, d'accord ? » Tu acquiesces et laisses ta mère te déposer un baiser sur la joue avant de descendre de la voiture. Malgré ton insistance doublée de celle de ton coéquipier devenu Lieutenant, et surtout compte tenu de ton travail, ton permis de conduire ne t'a pas encore été rendu. Ton flingue et ta plaque, oui, mais pas ce simple petit rectangle de plastique te permettant de te déplacer par toi-même. Cherchez l'erreur.

Tu sonnes au portail, décline ton identité, puis remonte l'allée en direction de l'entrée. Et c'est la maman de Minju qui t'accueille, un sourire chaleureux aux lèvres que tu t'empresses de lui rendre. Après avoir échangé quelques mots avec elle, tu quittes le hall, direction la chambre de son - grand - enfant. Il ne t'attend pas. Tu n'as pas informé sa mère de cette intention de lui rendre visite, l'autre jour au magasin. Tu te sentais incertaine de pouvoir venir à court-terme, et tu n'aimes pas faire des promesses que tu n'es pas sûre de pouvoir tenir.

Tu frappes doucement contre la cloison fermée, en essayant de maintenir ton coeur à un rythme calme et régulier. Quand tu es partie, Minju n'avait que vingt-deux ans. Aujourd'hui, il approche la trentaine. Pourtant, ce ne sont pas ses changements physiques qui t'angoissent le plus. C'est le reste. C'est tout ce que tu as raté de sa vie. C'est de ne pas avoir été là pour lui dans les moments où il aurait eu le plus besoin de toi. Tu te jures qu'à partir de ce jour, tu feras tout pour te rattraper.

Et cette promesse-là a beau être silencieuse, tu sais que tu n'auras absolument aucun mal à la tenir.


@Minju Seol

La lumière est basse dans la pièce malgré les rideaux tirés. Le père de Minju le lui a fait remarquer un peu plus tôt, après l'avoir laissé devant la porte de sa chambre comme un voisin gêné qui ne sait pas quand dire au revoir. Minju s'est entendu répondre une excuse mécanique, blâmer l'exposition comme si son père n'était pas le propriétaire de la maison. Trop épuisé pour faire semblant ou prolonger la conversation, il s'est isolé depuis, penché sur sa tablette graphique.
Depuis leur retour, ses parents font preuve d'une énergie que Minju leur a très peu connu. Aujourd'hui n'y a pas fait défaut. Sa mère les ayant pressés pour qu'ils aillent passer la matinée au marché de Noël tout juste ouvert, le père de Minju s'est vite pris d'enthousiasme. Minju, mal à l'aise dans la foule avant même que les dernières années n'empirent son cas, s'est pourtant sagement plié à leur volonté. Et dehors, l'air a beau s'être paré de ses meilleurs odeurs de cannelle et de boissons chaudes, Minju y a étouffé trop vite. Il n'a pourtant rien dit, s'efforçant de sourire devant les différents stands et masquant sa gêne dans un gobelet en carton en attendant de pouvoir rentrer. Il sait bien que ses parents font de leur mieux, tous les deux avides de rattraper un temps que seul Minju a vu se perdre. Ils s'efforcent de s'adapter, tout comme lui, et l'extravagance dont ils font preuve avec l'approche des fêtes est leur manière de compenser. Leur fils se contente simplement de les suivre et d'essayer de les satisfaire, comme il le fait depuis qu'ils sont de retour. Partagé entre le soulagement de les retrouver, l'impossibilité d'une telle réapparition, la frustration d'être traité de nouveau comme un adolescent et la honte de n'être devenu que l'ombre de lui-même pendant leur absence, Minju est sur pilote automatique. C'est l'impression qu'il a, pourtant incapable de se sortir de cette torpeur. Les semaines défilent trop vite depuis le retour miraculeux des Disparus, et lui ne sent pas capable d'avancer.

Les quelques coups frappés à sa porte lui font lever les yeux au ciel sans réel agacement. S'habituer à vivre avec ses parents après toutes ces années est un nouveau genre de frustration (et d'irritation), qu'il se sent coupable de ressentir maintenant qu'ils sont là. Il n'empêche que devoir partager sa maison après s'être approprié sa solitude est encore un challenge à ajouter à son immense pile de problèmes. En prenant soin d'éteindre ses écrans et de fermer ses logiciels, Minju fait son chemin jusqu'à la porte pour l'ouvrir doucement. Le visage qui l'attend de l'autre côté du battant le laisse immobile, interdit pendant une minute. Au même titre que ses parents, il a pensé à elle presque constamment ces dernières années. Une amie aussi inattendue que précieuse, disparue comme beaucoup d'autres.
Elle n'a pas changé. Minju aurait du s'y attendre, mais la surprise le saisit malgré tout. Et parce que lui est plus âgé, il a presque l'impression que Maxine est encore plus jeune que le jour de sa disparition. Minju ouvre la bouche pour parler, s'écarte pour la laisser entrer dans la pièce. Il n'a pas les mots tout de suite, il ne sait pas par où commencer. L'instinct le pousse avant tout à s'avancer vers son aînée pour la serrer dans ses bras, une manière de dire les choses sans parler et de s'assurer qu'il ne rêve pas. "J'aurais du venir te voir plus tôt." Ses mots sont précipités, la culpabilité de ne pas l'avoir contactée ces dernières semaines se faisant ressentir. Le temps passe trop vite, surtout lorsque l'on est dans le brouillard. Il pourrait donner mille excuses, mais préfère ne rien dire. Il s'éloigne d'un pas pour l'observer, incertain. Il décide d'être sincère, d'avouer la seule chose qui lui vient en tête et de faire ça vite, comme de retirer un pansement. "Tu m'as manqué." C'est ce qui importe le plus, maintenant qu'il y pense. Ca, et.. Son regard se pose sur le terrarium, à peine éclairé en ce début d'hiver, son lézard au ralenti clignant d'un oeil peu concerné. Dans son stress, Minju ne trouve rien de mieux que de pointer l'animal d'un geste de la main maladroit. "Je te présente Eden. J'ai failli l'appeler Maxine." Ces derniers mots sont ponctués d'un demi-sourire, un mensonge destiné à briser la glace.

@Maxine Jones